Les machines désirantes  de cyber-Shahrazad


Ammar Bouras ose le spectacle des mille et un fragments de l’intime dans le puzzle infini du désir. Il le met en scène par inter-face entre installation vidéo et photo-peinture. Là, se joue l’aventure d’une inlassable collecte de nuit où rivé à l’écran de son ordinateur, il a tissé par mots et par images une cyber-fiction de l’échange, pour « ne pas perdre le lien ».
Dans son dispositif virtuel, l’animation des petites fenêtres crée par intermittence une pulsation de corps numériques et de bribes de « tchatch », jetées au hasard des insomnies. Entre réel et imaginaire, cet espace lisse du médium de lumière fait circuler le désir de l’insaisissable féminin. Si les autoportraits des corps photographiés se dérobent par leur fragmentation à toute identification, ils gardent par le choix de leur découpage, l’empreinte érotique du regard de l’absente. C’est cette dernière, multiple et imprenable qui hante sous ses nominations abstraites l’insondable domaine de l’intime.
L’artiste la travestit en cyber-chahrazed pour tenir la route de nuit. Il en varie les postures entre apparition et disparition, surimpressionnant par contraste le noir et la lumière pour mieux redessiner ses nudités. Parfois, des lèvres se détachent en gros plan de la cartographie organique pour cristalliser l’intensité du désir, aussitôt recouvert par une saturation de l’écran. Cette subtile animation où se superposent et s’alternent les fantasmes du féminin par écriture et image photographiques, retient dans son instabilité et son infinie re-prise le cyber-voyeur.
Les photo-peintures qui font pendant à ce dispositif n’en captent pas moins le regard. Dans une hybridation de calligraphie arabe et latine, de collages et d’aplats acryliques, Ammar Bouras retravaille la matière photographique du corps féminin. Il le fait par composition sérigraphique alternant opacité, luminosité et transparence, dans une dominante de rouges et de noirs.
Des polygones étoilés redoublent le visage ou le sexe de la femme devenue palimpseste sous les superpositions d’arabesques ou de bribes de paysages. C’est comme si, par interaction avec son double cybernétique, le corps de femme photo-peint restait insaisissable dans un jeu de présence-absence qui remonte aux origines. N’est ce pas ce que dessine, dans un des tableaux, ce cordon ombilical, motif décoratif planté au creux du féminin et qui tente en vain de contenir dans son arabesque l’image d’un corps toujours fragmentée.
Il nous renvoie à ce no man’s land de l’intime où ne persiste jamais que le désir d’un échange infini qui nous retient à la vie, sur les traces de schahrazade.
Rachida Triki

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