Billet doux-amer

Pour les besoins de la Saint-Valentin, Ammar Bouras a sorti de sa malle à souvenirs les reliques de ses jeunes aventures amoureuses.
“Des lettres d’amour qu’on m’ a envoyées quand j’étais adolescent.” Il en a, ensuite, fait sa matière première pour la construction de “L’être d’amour”, sa toute nouvelle expo qu’accueille, à partir d’aujourd’hui, la galerie Esma  (Riadh El-Feth). Pour les esprits espiègles, inutile de chercher à déchiffrer les caractères qui sillonnent ses tableaux. Le photographe-plasticien a bien pris le soin de les casser et de les éparpiller. Indécodables. “Il faut lire au deuxième degré”, dit Bouras dans un large sourire, à l’occasion d’un pré-vernissage spécial presse (premier du genre). Le deuxième degré, c’est ce combustible qui fait se mouvoir l’artiste, qui travaille à la base sur la photographie. “Une manière d’intervenir sur l’image extérieure pour créer mon monde : des choses abracadabrantes.” L’image extérieure, c’est essentiellement l’être humain. Un objet qu’il déploie menu et haché.
Ici, un bout de jambe, là un bras, là-bas un sein, plus loin un visage, une main, etc. Bien que l’objet en question reste invariable, la technique change sur presque, dans chacune des pièces (au nombre de 38) que compte l’exposition : collage, acrylique, fixateur, film d’impression, photogramme, craie à la cire, tirage argentique, etc. La pièce maîtresse de cette galerie se nomme “Adam et Eve”, un tableau, se déclinant en quatre temps, qui raconte une histoire vieille comme le monde. L’histoire du cadeau d’amour empoisonné. Le serpent ici explose dans les couleurs du printemps. Parce que le plasticien joue, sans cesse, sur le jeu entre gravité et légèreté, bien qu’il tire plus souvent les choses vers le noir. Autre hantise : parfois Bouras aime bien être à l’intérieur des ses pièces. Être son propre objet.
Dans la série “Visages”, il fait sortir un cri d’un visage, le sien, sa propre silhouette, sa bouche grande ouverte. À débusquer. Et puis, il y a ces coins coups de cœur. Ces coins qu’on réserve à ceux qui nous fascinent. Dans Lettre à Egon Schiele, des silhouettes comme passées aux rayons X, il rend hommage au maître de la contorsion humaine, le peintre autrichien à scandale, qui a fait beaucoup parler de ses démons, dans le XVIIIe siècle. Un grand boulimique des corps torturés, comme les aime Ammar Bouras.
Djamel Belayachi
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