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«Un peintre est né»

Sans titre. T. M. sur photo
Résolument et sans fioritures, ce peintre-photographe est entrain de se faire son petit chemin, avec cette petite force qui caractérise les gens modestes.
Rencontré au cours d’une exposition collective, ce jeune artiste se livre tranquillement, à un joli numéro plastique.
Né en décembre 1964 à El-Milia dans la région de Jijel. Très tôt déjà, l’idée de rentrer aux Beaux-Arts apparaît. C’est contre vents et marées qu’il décide de préparer le concours d’entrée en 1985.
Après neuf années dans cette institution, il décroche un diplôme de communication visuelle, spécialité qui intègre la photo dans ses modules. Cette spécialité ne l’intéresse que dans le fait qu’elle lui fait découvrir la technique photo, mais il se déclare quelque peu bloqué par le fait qu’il fallait à chaque fois exprimer obligatoirement une idée à travers les exercices photographiques. Ammar Bouras va donc s’orienter vers la peinture, une option qui va lui laisser un vaste champ d’investigation artistique, doté d’une grande marge de liberté.
En 3ème année de son cycle supérieur, le travail de « mixage » entre la photo et la peinture commence, encouragé en cela par le peintre Denis Martinez qui le pousse à chercher.
Ammar commence donc à faire des tentatives en grattant ses films au labo. Il passe par la photo professionnelle pendant un certain temps, pour en sortir par la grande porte. Après avoir largué les amarres du reportage photo, il se consacre actuellement à sa peinture. Et on le voit souvent dans quelques manifestations artistiques telles que le 14ème Salon des arts modernes ou dans l’exposition collective des jeunes peintres à la salle Ibn Khaldoun qui se tient actuellement. Cependant les événements les plus marquants pour lui sont les deux Biennales de la jeune création auxquelles il a participé en section photo à Valence ( Espagne) en 1992 et à Lisbonne (Portugal) en 1994 et le 14ème Salon des arts modernes, tenu au Théâtre de Verdure dernièrement.
Bouras sort du parcours conventionnel des artistes-peintres de son âge, il ne s’embarrasse pas de discours ennuyeux. Il s’exprime, un point c’est tout! La valeur de son travail vient justement de cet état de faits.
Il utilise des grands et moyens formats sur lesquels il intègre des photos qu’il retravaille ensuite à la peinture ou aux encres. A vrai dire pour lui la technique n’est pas à proprement parler la chose la plus importante, c’est seulement une méthode, mise au service de l’idée ou de la sensation qu’il veut transmettre dans une espèce de synthèse subtile qui mêle la peinture et ses graphismes à la photo et ses effets réalistes.
Le monde du rêve est sondé, décortiqué et ne permet aucune limitation de vitesse artistique. Les moments les plus fous pour lui sont quand il capte des instants réalistes grâce à la photo pour leur redonner un sens onirique grâce à l’imagination que permet la peinture.
Un bel exercice de style que l’on a pu voir à la salle Ibn Khaldoun pendant une dizaine de jours.
J. Gassouma (Le Matin, 6 février 1995)
AMAR BOURAS, LA VIE, LA PHOTO ET LA MORT
IL EST UN DE CES JEUNES ENFANTS TERRIBLES DE LA CULTURE ALGERIENNE ; UN PHOTOGRAPHE DE TALENT,DOUBLE D’UN PEINTRE CREATIF.
AMAR BOURAS est né dans les années 60.Un parcours aux BEAUX-ARTS le mènera bien loin dans les hautes altitudes de la sphère artistique, grâce à un ensemble de travaux, d’expositions collectives et individuelles autant en Algérie qu’à l’étranger
Mais le plus intéressant dans ce passage que nous nous sommes proposés d’emprunter, pour mieux le connaître.
Reste sa formidable dernière approche artistique qui prend un départ fulgurant vers une autre dimension qui dépasse la simple prise de vue photographique avec un effet documentaire sur la réalité.
Bouras prend à bras le corps la technique photographique, il réalise les prises de vue, les retravaille plastiquement et s’amuse à recadrer les contours, à replacer les couleurs et surtout à manipuler la lumière pour recréer sa réalité.
Le pouvoir, Bouras le prend dans son labo, il retravaille les contrastes, les mets à son service et se lance dans un jeu terrible de chassés-croisés avec la réalité (à travers l’image). Son travail de photographe au quotidien est un garde-fou qui lui permet de remplir le garde-manger. Qu’à cela ne tienne, il réalise des prouesses dans sa démarche plastique qui elle, prend son envol dans une autre dimension.
Le dernier projet d’installation qu’il nous propose pour le 05 MAI prochain, probablement au musée national des beaux-arts, se relève passionnant au niveau de la force expressive qui se dégage des images multiples dont l’essence même se situe dans un format insoupçonnable de 24 /36 mn.
Le plasticien se lance à corps perdu dans une série d’intervention graphique sur diapositives en couleur.
Ammar Bouras en témoin – acteur de son époque nous montre alors une dimension horrible et une approche poignante
sur l’actualité dans tous ses états. Mais Ammar ne s’arrête pas là, il use de la technologie de pointe pour animer plus de 300 diapos qu’il travaille graphiquement dans une alchimie étrangère, les encres, les feutres et les objets de grattage font une esquisse sur petit format d’un monde torturé, désappointé, mais aussi fait d’espoir, d’amour, et de foi en l’avenir.
Le plasticien manipule l’ordinateur pour nous faire vivre des moments aux images très fortes qui défilent dans un rythme soutenu à une cadence infernale. Un montage d’images qui finissent par la force des choses avec un mixage réussi d’une ambiance sonore empruntée à un panel éclectique de musiques du monde. Un «spectacle» son et lumière que Bouras utilise à bon escient pour sa future installation qui fera appel à cette technique superbe qu’est l’installation vidéo. L’image de Bouras prend vie et se réfugie dans de multiples supports que sont la salle, le tirage papier et la diapo puis ensuite l’écran vidéo ou le moniteur de l’ordinateur.
Un voyage dans l’univers des passions humaines que notre ami a déjà entrepris depuis plus de trois années de travaux sur la photo, sur l’image. Un artiste à inspecter d’urgence pour la force de son expression qui nous plonge dans un malaise subtile qui nous met en face de nous – même. La projection qui défile est surprenante par la qualité du travail entrepris. Le plasticien garde toujours ses réflexes de photographe tout en sondant le monde du multimédia. Voilà qui promet pour cet artiste attachant, quoique aigre-doux dans sa vision du monde, mais les mécènes ou les sponsors ne devraient point se tromper en l’encourageant à suivre donc à tout prix, prochainement au musée national des Beaux-Arts le 05 MAI dans une exposition collective qui va regrouper une bonne flopée de jeunes talents.
J.GASSOUMA. ( La nouvelle république lundi 22 mars 1999 )
Fondu au noir
Dans une exposition organisée à la Fondation Asselah, culture Algérie depuis le mercredi 27 octobre, Ammar Bouras livre toute l’étendue de son talent qui nous emmène bien loin dans la jeune peinture algérienne.
Quatorze peintures, quatorze œuvres de choix, fraîchement réalisées en acrylique, huile sur toile et contre-plaqué. Ammar Bouras, né en 1964, est très tôt un étudiant assidu des Beaux-Arts, il est aussi un très bon reporter-photo qui met au service des autres son regard croisé de plasticien et de «capteur» d’images fortes.
Bouras reste une valeur sûre de la jeune peinture contemporaine qui monte à l’instar d’une génération enjouée de jeunes pinceaux encore non prophètes dans leur pays… De plus, il est l’une de ces idées qui priment dans l’esprit du plasticien : ne pas se répéter et réaliser à chaque fois une exposition différente pour un regard nouveau, des thématiques différentes et l’expression d’idées renouvelées à chaque nouvelle édition dont on notera l’aide précieuse de AB Compo pour une affiche présentative. Amar Bouras sort d’une expérience cybernétique dans laquelle il a aussi fait la mesure d’un talent immense pour manipuler des images minuscules et les restituer sur grand format et dans un écran d’ordinateur, sorte de synthèse totale de plusieurs techniques artistiques. Cette fois, il revient aux premières amours qui sont les encres, l’acrylique et la toile. On a fortement ressenti cette excitation du peintre devant ses travaux, pendant la réalisation et enfin à l’exposition qui nous met en face de quatorze tableaux qui donnent dans le noir profond, le noir que Ammar Bouras trouve majestueux, magique.
Ammar livre sa vision des choses dans une tragique exposition dont les titres révèlent tout le mystère. Tumulte, Une longue nuit, Sur le temps de midi, Ce qui se passe derrière une vitre… sont autant d’opus qui englobent la mort, la vie, l’amour. On croit percevoir dans ces immenses formats de la sensualité une chevelure éparse ici, le galbe d’une hanche là ou bien l’épure d’une femme allongée là-bas. Dans un noir velouté qui enveloppe certaines œuvres des notes cristallines de verts flamboyants et des rouges et des jaunes qui lancent des pointes d’espoir éclairé sur le tout.
Bouras favorise la non-symétrie et les compositions en fenêtres, carrés lumineux qui délimitent des cascades de couleurs et de traits au pinceau fin et à l’instrument vif qui gratte et qui imprime durement comme une blessure quelques œuvres torturées. L’artiste fond sur ses travaux qu’il triture, malmène et apprivoise en fin de compte pour nous faire partager un exercice de style mi-abstrait, mi-expressionniste.
Les sujets sont très vagues, ils sont bourrés d’une sorte de mystères aux halos bien étranges, une série de travaux qui ne laissent pas le regard se perdre, ils sont captivants et dérangeants à plus d’un titre, du courage pour un peintre qui aurait pu choisir la facilité de faire ses collages et ses peintures colorées à outrance mais qui en réalité se plonge dans une quinzaine de peintures de tous les formats possibles qui possèdent en soi une force intérieure immense, pari donné pari tenu de réaliser en un temps record une nouvelle exposition avec de nouvelles œuvres. Ce bon bougre de Bouras, un peu noir, un peu tragédien, laisse une impression de gravité par rapport à la vie, par rapport à la mort et aussi par rapport à la peinture… Il est à la Fondation Asselah pour une quinzaine de jours, à vos bicyclettes donc et rendez-vous sur place pour beaucoup de plaisir.
J. Gassouma (La Nouvelle REPUBLIQUE Mercredi 3 novembre 1999)
AFFOLANTES TONALITES
L’apparent calme qui le caractérise ne tranche pas avec sa voix et ses paroles mesurées, à la limite de l’hésitation. Il lance ses mots comme on donne des cadeaux.
Toujours avec plaisir le partage de la parole, il le fait comme dans un bon repas, c’est-à-dire avec générosité.
Ce plasticien talentueux montre ses douleurs et ses questionnements dans, une œuvre qui montre beaucoup, mais qui dit encore plus. Dans un exercice justement de la parole, il a révélé un talent redoutable de dompteur de l’image. «Stridences», une exposition réalisée en juin dernier (du 25 juin au 6 juillet 2001) au Cercle Frantz -Fanon aura été d’un goût puissant. épicé et fortement coloré. Des dizaines d’images extirpées de l’horreur d’une situation dramatique, des images volées aux 24 secondes de la vidéo, une technique emprunt3e à la photo dont il se fait fort de maîtriser les contours.
Et puis, il y a aussi cette propension magnifique qu’il a de colorer, gratter, marquer de son geste des films, créer de nouveaux supports pour dire, dire et redire ce qu’il ressent dans cette «stridence» de la forme. Il présente ainsi huit panneaux complets d’une cinquantaine de photos–peintures chacun qu’il donne comme génétique, puis le tout est aussi décliné sur un «data show», un écran vidéo qui anime ses images dans une vitesse d’enchaînement tout simplement affolante.
Frustration du public, il ne peut absorber cette avalanche d’une seule traite, paradoxal exercice qui fait que l’apparente force de frappe plastique du plasticien se laisse diluer en fait dans une étonnante sérénité quand on aborde les images une à une. Bouras, amoureux fou de Nusret Fateh Ali Khan, le chanteur pakistanais «Qawalli». Accompagne ses travaux de sonorités fougueuses et construites par ses soins dans des voyages erratiques dans la «world music», provocation et titillations de tous nos sens; il ne manque que le commentaire. Pour ce faire, Ammar (avec deux M) élimine le texte, il précise «Sangcommenttaire ?» pour appuyer son art d’une liberté non contraignante.
« POUSSIÈRE DE VIE » !

Empreinte. T. M. sur film Radiographique
Pourtant, le commentaire trouve refuge dans des coins reculés de ses images fécondes ; ils se retrouvent sous nos yeux, s’insinuent dans la couleur rouge sang, trouvent un départ dans les coupures de journaux, dans une phrase chantée, et puis aussi…, dans les yeux mêmes du spectateur de ses délires colorés.
Lui, comme un maître-chanteur, se fait maître de cérémonie dans une mise en scène ambivalente, en ce sens qu’elle mixe le macabre au vivant le plus fort.
Passionnante introspection dans le monde de la forme, dans la couleur savante, il dompte ainsi son art le remet en forme et use de sa polyvalente intuition qui lui fait voir ce que finalement le commun des mortels ne peut voir avec évidence. Subliminale approche qui met le doigt, qui plonge la main dans un art subtil et original. Ammar Bouras, diplômé des beaux-arts en peinture, adepte de la bonne peinture, réussit le pari de se faire un nom ici et ailleurs dans plusieurs expositions individuelles et collectives. Il est membre d’un groupe de plasticiens et ne dédaigne pas les techniques et les expériences les plus fortes. Ainsi est aussi cette aventure de Poussière d’Ange, un ouvrage réalisé avec Christian Lecomte, journaliste et écrivain, auteur de Sarajevo, ville captive (Ed. Syros, 1995), Le jour où j’ai tordu mon pied dans une étoile Ed. Desclée de Brouwers, 1996) et Reporter à Sarajevo (1997 aux Editions Fleurus Presse).
Poussière d’Ange, recueil très fort en images et en textes, édité aux Editions Barzakh, plonge dans l’«immédiateté» de quelques sensations kidnappées par l’inspiration. Il s’agira alors, pour nous lecteurs, d’y aborder des virages linguistiques du plus bel effet
Originalité de l’approche et vérité du langage, Poussière d’Ange sera plus facile à découvrir que les images du sieur Bouras, occupé à une autre exposition plus «classique», déjà échappées.
Le temps d’une exposition, Bouras fait, dans la rareté des manifestations publiques, un choix qui favorise ainsi le travail pointu et l’élaboration d’images sans cesse renouvelées la technique importe peu ou plus justement importe dans le sens où elle pointe du doigt le sujet, englobe ses différents objectifs.
LA PHOTO DU « GOUAL »
Le message se fait direct, héritage de l’aspect documentaire de la photo-reportage ; il garde la qualité de «raconteur fou», de l’ancienne tradition qui veut que le «goual» reste le principal objecteur de conscience de la tribu et le gardien de sa mémoire. L’on se demande alors si ce plasticien original n’est pas le garant de quelques-unes de nos images de demain.
La question mérite d’être posée pour l’éventualité d’un quelconque conflit atomique, où l’on finirait par retrouver les traces de nos tares sur ces images qui entrent de Plain-pied dans un quotidien aussi obsédant que la succession en chaîne de ces photos-peintures prenantes entrant par la grande porte de l’actualité tout en intégrant ces «icônes» nouvellement créées dans la contemporanéité d’un art algérien qui donne aujourd’hui des œuvres qui méritent d’être découvertes et encouragées. L’aspect répétitif, l’obsédante succession de sujets, la mort, le sexe, la vie et l’actualité, la satire, la dérision et les délires audacieux sur la technique sont autant d’atouts avant-gardistes de ces plasticiens qui giclent sur la scène artistique algérienne et qui la remettent en question de bout en bout par le grand bout de la lorgnette. Il est désolant de voir ces avatars d’une culture nouvelle se déliter dans l’incompréhension et dans le mépris des nouvelles figurations qui prennent place dans les arènes de l’art algérien.
L’APPÉTIT VIENT EN PEIGNANT !
Ammar Bouras, artiste, laisse son appétit gagner son inspiration ; il travaille sans relâche dans un petit studio bourré de livres, de CD, l’image est omniprésente dans quelques tableaux réalisés par ses soins, ou bien de reproductions d’Egon Schiele aux traits torturés et aux chairs nervurées.
Bouras peint, gratte, voit et revoit ses travaux ; le médium informatique donne de la luminescence à ses travaux, garde la qualité de translucidité de sa lumière, repousse encore plus les limites de son art pour donner encore plus de puissance, et il y a aussi cette qualité d’animer une image qui ne disait que très peu, mais qui soudainement s’affirme par son mouvement pour discourir efficacement sur le monde qui l’entoure.
Quelque cent photos prennent ainsi place dans nos consciences, le peintre ne se lasse pas de nous les imposer sur des supports déclinés en «drops» (banderoles qui descendent) et en panneaux fixe Le tout est savamment disposé pour ne point laissés indifférant, il est sûr que nous nous sommes laissés entraîner par cette myriade de miroirs de nous-mêmes. Le temps aura sans doute été trop court pour aborder les secrètes révélations de Cet art. Mais qu’à cela ne tienne la prochaine exposition de cet enfant terrible sera probablement sous nos yeux en octobre prochain.
Le moins que l’on puisse dire à ce sujet est que la profusion de ses créations marquent le pas d’une nouvelle génération d’artistes qui se font fort de nous livrer un pan entier de leur sincérité à travers des séries entières de travaux fougueux.
Il existe à travers Ammar Bouras et quelques-uns de ses pairs, encore empreints d’une certaine éthique artistique, qui refusent le compromis de la culture dominante qui se choisit des images étrangement éloignées des véritables préoccupations de notre époque.
Une chose est sûre désormais il faudra, pour tous les amateurs et surtout pour tous les animateurs de la «maison» artistique algérienne qui ont le pouvoir et l’argent, se faire violence pour accepter ces nouvelles tendances picturales qui ne savent pas mentir sur le monde qui les entoure. L’artiste algérien contemporain comme l’est peut-être Ammar semble promis à un destin affolant aussi terrifiant qu’une période noire vécue à l’ombre des arbres de tous les pendus. Victimes expiatoires transformées en bourreaux vengeurs, nos artistes sont présents, ils sont condamnés à témoigner. Tant mieux pour nous, la vengeance sur le sort nous est ainsi esthétiquement acquise.
Par J. Gassouma (La nouvelle République 10/07/2001)
… Ammar Bouras ne se veut pas un simple praticien, au sens étroit du terme. sa démarche inquiète – est sous-tendue par une réflexion. S’occuper du réel est une tâche difficile ou il est impérieux de bien choisir et aiguiser ses instruments d’approche. Instruments conceptuels. Dans son mémoire de fin d’études de l’école supérieure des beaux-arts, intitulé «l’image : de la lumière à la plastique» (Essoura: min a-dhou ila ettechkil), il écrivait en arabe: «La photo est l’écriture d’un monde en perpétuel changement. Ce dernier renforce en nous le sentiment que nous sommes dépossédés de notre passé intime. Et, à force, nous finissons même par abandonner ce passé. Ce changement rappelle à tout instant que notre existence a un point final».
La photo intervient alors en tentant de nous prouver que la vie n’a pas de cesse. Dans ce cadre,
la photo est à la fois présence et absence. Elle nous invite au rêve et nous donne l’illusion que nous pouvons posséder le monde. Elle est le produit du temps qui disparaît. Elle transforme ce passé en un produit de consommation et d’affection… » C’est alors que l’artiste ressent l’impérieuse nécessité de se remettre au travail sur le même cliché, de tenter de «regagner» le temps vécu entre le premier déclic et le déclic de la raison artistique et existentielle présente.
La nécessité de transformer l’esquisse originelle par l’injection du réel – des réels qui ont suivi, développé, enrichi, mature et épuré le sens du geste de la prise de vue… Autrement dit, L’image issue d’un flash de lumière originelle est reprise en charge dans le processus d’un acte de transformation graphique créatif. Nouveau et différent.
De cliché, la photo s’achemine vers la peinture, pour devenir tableau…
On comprend mieux pourquoi Ammar Bouras insistait pour marquer sa différence d’avec certains artistes pop art. Eux travaillent sur les photos d’autres artistes. Lui «détourne» les siennes propres. C’est-à-dire que c’est sur son temps intime et intégral qu’il travaille . . .
ABDERRAHMAN DJELFAOUI (El Watan du jeudi 6 février 1997) El Watan, le 16 avril 1997
« Du soleil dans la douleur »
Ce titre, je l’ai trouvé écrit sur le livre d’or de l’exposition de Ammar Bouras, dans les lignes tracées par la main d’une visiteuse, anonyme. Est-ce que «du soleil dans la douleur» n’est pas une expression aussi douce-amère que l’adage populaire par lequel on murmure «avoir une peine silencieuse pour son propre être»?…
Des quinze grandes toiles peintes et collées sur contre-plaqué, toile ou papier photo qui occupent les murs de la petite salle de la Fondation Asselah, toutes sont datées par l’artiste de l’année 1999…
Avant même de les goûter et (peut-être) de les interroger, ce sont pourtant leurs titres – ou légendes – qui accrochent d’abord le regard. Légendes que j’ai commencé par lire dans l’ordre de l’expo voulue par le peintre, puis que j’ai relues au hasard et avec lesquelles je me suis laissé aller à faire un montage d’associations libres. Ce qui donnait : «Dans ce trou noir ou lumineux» / «Vit la vie, rêve la vie»; «Souffre la vie» / «Voyageur de la nuit »; «Une longue nuit» / «Sur le temps de midi»; «Pas à pas hors des murs» / «Murmures»… Une sorte de poème…
Mais bien longtemps après l’heure bruyante du vernissage (un de ces moments rares de bienvenue et de retrouvailles dans une capitale où l’on croule sous le stress), quelle n’a pas été ma surprise de voir imprimé sur l’affiche d’annonce de cette expo : «Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant / que ce qui se passe derrière une vitre. / Dans ce trou noir ou lumineux / vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.» Un poème de Charles Baudelaire, l’auteur de Spleen de Paris au XIXe siècle…
C’est qu’à cette expo la tonalité dominante «accrochée» aux murs est noire. Pas comme seule et unique couleur, mais d’un noir qui ne saurait mentir tant il instruit l’œil et le cœur du visiteur quant au spleen de vie subi du créateur; un de ces noirs d’atmosphère pour «message», – comme on disait encore il n’y a pas si longtemps en ces années où l’on croyait à la Révolution (avec un grand R) -; mais «message» portant cette fois la lettre du désenchantement; plus précisément la désillusion de soi et celle de la «Maison Algérie», pour tout dire…
D’une toile à l’autre, ne semblent émerger que des traits de visages et de mains découpées, parfois à peine perceptibles, toujours densément présents et comme tirés vifs de l’épaisseur d’un drame. Mais de quel drame exactement ?… On ne sait pas, comme si on ne pouvait aller plus loin que cette interrogation déjà terrible en soi… Sur cette autre toile encore la silhouette d’un corps nu, évanescent dans le noir, comme l’ombre d’une ombre. Sur celle-là, des empreintes de pieds fermement découpées sur des couleurs d’herbes et de basalte ! Ailleurs, et partout des échappées fauves de jaune, d’orange-brun ou de bleu de nuit en éclats… Mais le tout est dans la cohérence forte du cru d’une œuvre qui, tout à la fois, attire et met à distance, suscitant la mélancolie ou le malaise tout autant que la sensation d’une douche froide un jour de canicule à l’ombre d’une solitude…
LES SIGNES DE L’HUMAIN
Ces visages en îlots, peu nombreux, ont ainsi dans la toile Souffre la vie des yeux d’appel, comme on parlerait d’une bouteille à la mer avec on ne sait (encore) quel message fou dedans… Des visages qui ont perdu (mais l’ont-ils perdu à jamais?) la perspective du bonheur, peut-être même de la nonchalance et du simple plaisir méditerranéen de s’asseoir n’importe où pour laisser aller son temps à regarder l’agitation du monde, l’agitation des autres… Des visages qui donnent l’impression étrange de vous reconnaître en tant que visiteur, spectateur, et d’attendre de vous, sans bouger, une onde d’écoute, un frémissement de solidarité…
Certes, on peut aimer ou ne pas aimer une telle peinture au noir. On peut, face à elle, chercher à comprendre ou douter même qu’elle puisse avoir un sens tant son manque apparent d’optimisme peut effrayer certains. Mais douter seulement, parce que cette peinture met aussi en scène des mains qui semblent pour nous danser dans l’air du temps. Des mains qui seraient pareilles à des khamsas, prolongeant de façon exutoire ces visages d’un autre monde. En tout cas, des mains certainement plus énergiques que les visages et qui changent ostensiblement de couleurs d’un tableau à un autre pour, par exemple, passer d’un marron chêne-liège écorché à un rouge de grenade à la pulpe éclatée… C’est effectivement tout un «soleil dans la douleur», comme l’a ressenti la visiteuse anonyme qui a trouvé cette image forte et simple pour l’exprimer et l’écrire. Des mains comme affirmation d’être, comme volonté et puissance de mouvement malgré toute l’encre des noirs d’où elles émergent et nagent vaille que vaille vers la lumière…
Dans certains tableaux, cette main semble même enfin victorieuse, comme dans Sur le temps de midi. Dans un coin de cette toile il y a, de surcroît, un cadre télé qui éclate, au sens propre et blanc du terme, comme si l’artiste signifiait par là une libération, une perspective d’échappée de l’étouffoir de ce que chacun sait être son (mauvais) quotidien. Main victorieuse sur le temps de midi où elle apparaît ouverte à pleins doigts, telle la voile gonflée d’un bateau navigant pour rattraper le vent et les étoiles des grands voyages…
En fait, visages, mains, silhouettes et empreintes de pieds ne sont-ils pas les premiers et les derniers signes de l’humain ? Ne sont-ils pas les extrémités de son corps physique, de ses désirs innombrables et inextinguibles, de son savoir-faire, de son silence et de ses drames ? N’est-ce donc pas comme partout dans l’Histoire, aux quatre coins du monde, ces signes de l’intégrité de l’être qui font justement que nous nous souvenons, envers et contre toute noirceur, que nous pensons, que nous rêvons, craignons, aimons, pleurons, rions, espérons et créons ? Les signes de vie, comme destin.
Abderrahmane Djelfaoui (Le Siècle n° 17 du 3 au 9 novembre 1999)
Les lucarnes du pop art d’à côté

voyageur de nuit. T. M. sur toile. 1999
La galerie de la fondation Asselah, sise au boulevard Zirout Youcef, a abrité, mercredi après-midi, le vernissage de l’exposition de peinture de l’artiste Ammar Bouras, se déroulant du 27 octobre au 11 novembre 1999.
Cette exposition picturale, réunissant une quinzaine d’œuvres, est intitulée « Fenêtres». Une vitrine picturale grandeur nature placée sous le signe du spleen artistique étale beauté mélancolique. D’ailleurs, l’artiste peintre Bouras a légendé l’affiche publicitaire de l’exposition par des vers baudelairiens issus des Fleurs du mal. Ainsi, pour résumer l’ensemble de ses tableaux, Bouras fera sienne la strophe suivante : «Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.» En clair, cet artiste nous invite, à travers son exposition, à nous accouder à une fenêtre grande ouverte sur des instantanés de la vie et ses vicissitudes. Car pour donner une touche presque réelle à son monde «d’à côté», il use d’une technique mixte tenant de l’art pictural et du déclic «noir et blanc» de la photo.
Il s’agit d’une technique, d’une dualité artistique en parfaite osmose. Une sorte de «fondu-enchaîné», où se complètent les deux arts majeurs. Bouras est un artiste double « tiroirs». Il est artiste peintre et photographe professionnel à la base. A ce propos, il expliquera son approche plastique : «Ma décision artistique commence par l’instantané de la prise de vue, les internégatifs (sélection de plusieurs négatifs et positifs) et puis j’interviens sur la toile comme support diurne. Au lieu de travailler dans le noir prolongement immédiat de la chambre obscure du photographe, je le fais à la lumière du jour.» Cette technique duelle, il la doit à son maître, à l’école des beaux-arts d’Alger.
Denis Martinez l’ayant encouragé à verser dans la voie alliant la photo avec la peinture proprement dite, Bouras «défenestre» le voyeurisme sans connotation péjorative aucune pour nous offrir, à loisir, des tranches de vie, pas du bout de la lorgnette mais à partir de vasistas empreintes de couleurs géométriques, voire dimensionnelles ayant une prédominance pour la couleur sombre (le noir, le bleu foncé). D’après cet artiste, l’usage de cette «humeur» terne obéit à l’expression aussi bien de la mélancolie que de l’espace majestueux. Parmi les travées de cette exposition picturale, l’on peut citer des toiles comme celles intitulées Ce qui se passe derrière une vitre reflétant le quotidien des choses de la vie des petites gens «dénudées» de par leur extrême authenticité et simplicité, Rencontre du 3e type, une inspiration de la cinquième dimension artistique de Steven Spielberg ou encore Dans ce trou noir ou lumineux, jouant avec la profondeur abyssale temporelle et obscure du «big bang». Par ailleurs, les tableaux sont presque totalement affublés d’empreintes de mains et de pieds qui, selon leur auteur, expriment le contact humain. En d’autres termes, l’ouverture sur l’autre, la tolérance. Un regard à l’écoute diaprée de notre prochain à travers un pseudo-pop art très cher à Andy Warhol.
K. Smaïl (El Watan lundi 1 nov 1999)
La cinétique des couleurs
Quel support faut-il utiliser pour exprimer la panoplie de tourments et de douleurs qui marquent le temps et que les mots ont peine à décrire ? quelles sont la matière et la palette de teintes qui sauront faire écho des sensations et émotions qui rythment les profondeurs d’un plasticien ? quelle serait l’illustration pour bien faire véhiculer le message en évacuant la banalité, l’insensibilité et l’indifférence provoquées par le poids des contingences malheureuses? Comment arriver enfin à obtenir l’effet cathartique susceptible de donner une mobilité et une dynamique de mouvement plus intelligentes ? A travers Stridences, Ammar Bouras, plasticien-photographe, choisit la cinétique des couleurs violentes qui pousse au dialogue et au non-statique. Il tente de créer l’émotion, de jouer le rôle du déclencheur à travers une technique mixte sur transparent, à partir de négatifs 24×36 mm. Par l’utilisation du pinceau, du cutter, de la brosse et du feutre, il porte des réaménagements sur ses clichés en reproduisant dans une combinaison magique des photos-peintures. Une peinture image qui se veut contestation dadaïste au point de produire l’électrochoc pour fouetter les consciences à travers un défilé d’images, s’appuyant sur les techniques nouvelles. De l’image de base au produit fini les photos intermédiaires s’implique, dans des couleurs violentes, pour souligner l’intensité des émotions et tenter de recréer une autre mesure d’observation. Le sens des images et la charge de leur acception reconstruisent le réel tragique. Ils portent sur l’actualité endolorie où les cris d’horreur se mêlent aux images choc des mares de sang qui n’a pas encore séché – où les youyous fusent comme pour déchirer le voile du silence. La projection de photos télévisuelles est exprimée vertement par Ammar Bouras où la cinétique invite le regard à une nouvelle vision de saisir l’altérité. Serait-on tentés de dire que la situation prête, pour le photographe plasticien, à une ambivalence? Il essaie en tout cas de sortir de l’attitude classique sans pour autant altérer l’académisme. Il subsiste néanmoins un questionnement qui semble tarabuster ses méninges et ses profondeurs. Le «sangcommenttaire», calembour qui, à l’évidence, nous renseigne sur l’effort de réflexion du plasticien quant à un compromis entre la peinture et la photo. Fusion qui, Si besoin est, nous renvoie à la nécessité d’aller vers une autre vision pour percevoir les icônes dans leur dimension contemporaine. En somme, une œuvre non seulement pour que l’histoire retienne en fixant sur la pellicule les scènes tragiques inscrites dans le temps et l’espace, sinon déballer pour mettre à nu, dans un constat d’images, on ne peut plus amer, un comportement gagné par l’insouciance.
Rappelons que les éditions Barzakh ont édité un ouvrage composé d’une compilation de textes intitulé «Poussières d’ange», signé par Christian Lecomte journaliste – écrivain qui a publié «Sarajevo, ville captive» et illustré de photos-peintures de Ammar Bouras utilisant la technique mixte sur transparent.
Ammar Bouras expose jusqu’au 6 juillet à la galerie Frantz-Fanon «Stridences, Sangcommenttaire?»
Par Madjid Tchoubane ( le Jeune Indépendant )