L’improbable bourgeonnement du beau

In Ekker Zone interdite Ammar Bouras

L’artiste-plasticien expose jusqu’au 15 avril à l’espace d’art contemporain d’El Achour Espaco. Cette série de photographies et de sculptures en verre dresse un portrait crépusculaire et angoissant des essais nucléaires français dans le Sud algérien.
«24°3’55’’N 5°3’23’’E» est le titre de cette exposition étourdissante de Ammar Bouras qui marque son retour sur la scène artistique après quelques années d’absence. Des visions à la fois apocalyptiques et d’une beauté étourdissante nous sont offertes d’un site martyr : In Ekker, au cœur du Hoggar, où se sont déroulés les treize essais nucléaires français de 1961 à 1966.
Cette montagne majestueuse se dresse au milieu d’un champ de ruines fait de barils vides, de barbelés et de câbles éparpillés sans que rien trahisse la moindre trace humaine.
Photos classiques ou panoramas fragmentés, l’œuvre de Ammar Bouras est ici empreinte d’une mélancolie qui n’a d’égale qu’une sensibilité esthétique à fleur de peau, allant débusquer au cœur même de la désolation une étonnante beauté plastique.
L’artiste est autant instinctif que méticuleux dans le choix de ses prises de vue, dans sa patience et son «écoute» des silences environnants. Silence de pierre et de sable mais aussi de la mémoire qui fut simultanément enterrée sous la montagne éviscérée et sous le poids du secret d’Etat. Moins connus en effet que les essais de Reggane, ceux de In Ekker coïncident avec la naissance de l’Etat algérien indépendant et se poursuivent cinq ans après la libération du pays. C’est ainsi que toute une région sublime du désert algérien est devenue un no man’s land où aucun souffle vivant ne traverse l’obscurité des lieux.
Habitée par le métal et les déchets hideux, cette terre renferme également dans ses entrailles un poison invisible qui se balade dans l’air comme un secret bavard, comme un cancer absurde s’abattant sur tous ceux qui ont eu la malchance de naître dans ce coin maudit du monde. En cela, les images ne sont plus statiques ; elles s’animent d’une violente chorégraphie tant le photographe a réussi à y incorporer le souffle violent de la nature et les débris virevoltants d’une vie révolue. Et il y a autant de mystère et de mysticisme dans les images de Ammar Bouras qui pose un regard fasciné et triste sur l’une des blessures les plus pudiques de l’histoire de l’Algérie et qui va au-delà du cantonnement géographique et chronologique en créant un univers à part, quasi-apatride, en faisant parler la douleur de la terre elle-même en ces temps renouvelés où l’Homme, pris dans la folie de sa puissance, détruit méthodiquement son unique espace de vie.
L’exposition comprend également des sculptures en verre mimant les noms de pierres précieuses que les autorités coloniales ont donnés aux treize essais nucléaires réalisés à In Ekker : détournant le cynisme effarant de ce lexique, l’artiste semble vouloir rendre leur beauté originelle à ces joyaux de la nature et en mime la couleur et l’éclat, symboles d’une vie qui a définitivement déserté ces lieux où la mort était devenue une banale expérimentation.
Sarah Haidar (le soir d’Algérie).

24°3′55″N 5°3′23″E (Galerie) • Texte catalogue & L’Entretien (Nadira Laggoune-Aklouche) • Adlène Meddi • Jaoudet Gassouma • Hind Oufriha • Yasmine Azzouz

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