TAG’OUT ou les ruses de l’Histoire
Quel scénario plastique peut restituer les traces d’une mémoire blessée, sans s’ajouter au lot des trahisons qui logent dans les ruses de l’Histoire? Comment traduire la terreur fratricide, la cruelle absurdité et la rage de l’aveuglement sanguinaire d’une décennie meurtrière? Par quelle image restituer les corps décapités et éventrés et rendre l’insoutenable spectacle de sang? Comment aussi peut-on imager l’incompréhension d’un peuple qui a connu, seulement quelques décennies auparavant, les sacrifices d’une guerre de libération? Par quelle ruse de l’art, enfin, peut-on éviter encore une fois d’être le traitre qui dénie les terribles vérités de l’Histoire?
Ces questions épineuses, Ammar Bouras les affronte, avec détermination, en artiste et en acteur. Traqué par la terreur qui, en Algérie, a touché entre autres intellectuels et artistes, dans les années 90, il a vécu dans sa chair à la fois le drame de la guerre civile et celui d’être lui-même taxé de traitre (TAGHOUT) à la cause de Dieu. Son drame était d’être, à l’époque, artiste et journaliste reporter. C’est pourquoi, il a choisi de décliner les vraies visages des trahisons passées et sournoisement actuelles; il le fait par une scénographie où un montage subtil de photos-peinture, de vidéo –art et d’intervention plastique sur documents, participe à recréer l’émotion d’une expérience terrifiante; mais cette installation tente aussi de rendre sensible le fantôme de la menace qui plane. Toutes les ressources du multimédia sont alors convoqués pour créer dans l’entre deux de l’image « document-témoin » et de celle de la fiction vraie, l’espace visuel du drame de la Trahison. Pour ce faire, l’artiste use de sa polyvalence artistique et de sa maîtrise des mises en images de l’événement. Il est, en effet, à la fois photographe, vidéaste, cinéaste expérimental et plasticien. Il a à son actif d’avoir toujours composé avec le vif des événements et avec les archives qui tissent la mémoire politique et sociale postcoloniale dans des installations et des vidéos délibérément sensorielles mais non moins poétiques. C’est le cas des vidéos Serment ou de Un aller simple, sorte de road movie dans l’histoire d’une Algérie, qui défile à la fois les traces de sa guerre encore récente et l’incertitude du quotidien de ses années de terreur.
Quelles soient photographiques, filmiques ou picturales les œuvres de Ammar Bouras sont presque toutes habitées du spectre de la guerre civile, de celui de la censure et de l’oppression de l’individu–citoyen.
Avec TAG OUT, toutes ces potentialités sont réunies pour revisiter les documents inédits et fortement porteurs de sens d’une histoire aussi proche que prémonitoire. C’est ainsi que Le caléidoscope d’images documentaires avoisine les photos retouchées picturalement aux couleurs de sang et retravaillées numériquement . Il s’agit pour l’artiste de traiter visuellement le mal par le mal en en taguant la trace pour mieux en exorciser l’inhumanité. Il a compris que le silence est aussi une trahison et que l’inimaginable et l’irreprésentable nécessitent justement qu’on rende visible et qu’on soutienne la moindre image documentaire qui peut encore aujourd’hui faire sens par sensation. Il fait revivre par l’image l’événement tel qu’il a été perçu et saisi en photo puis l’intensifie par les ressources de l’art .Les images ne sont jamais que des apparitions qui attendent d’être investies par le regard et par la mémoire qui les recrée ou les identifie. Leur force consiste est à opérer par affect un travail sur le corps regardant. Lorsqu’il s’agit de l’image-trace ou empreinte comme l’est l’image indicielle photographique ou filmique, elle incite plus immédiatement à l’adhésion. Mais lorsque celle-ci est mise en vision dans un dispositif qui met en relation sens et sensation, sa portée est amplifiée par la dimension polysémique qui libère et la mémoire et l’imagination. Traduire un vécu insoutenable sans trop le trahir n’est ce pas faire de son image un foyer dynamique de production de sens.
Rachida Triki
www.triki.org/rachida
Ces questions épineuses, Ammar Bouras les affronte, avec détermination, en artiste et en acteur. Traqué par la terreur qui, en Algérie, a touché entre autres intellectuels et artistes, dans les années 90, il a vécu dans sa chair à la fois le drame de la guerre civile et celui d’être lui-même taxé de traitre (TAGHOUT) à la cause de Dieu. Son drame était d’être, à l’époque, artiste et journaliste reporter. C’est pourquoi, il a choisi de décliner les vraies visages des trahisons passées et sournoisement actuelles; il le fait par une scénographie où un montage subtil de photos-peinture, de vidéo –art et d’intervention plastique sur documents, participe à recréer l’émotion d’une expérience terrifiante; mais cette installation tente aussi de rendre sensible le fantôme de la menace qui plane. Toutes les ressources du multimédia sont alors convoqués pour créer dans l’entre deux de l’image « document-témoin » et de celle de la fiction vraie, l’espace visuel du drame de la Trahison. Pour ce faire, l’artiste use de sa polyvalence artistique et de sa maîtrise des mises en images de l’événement. Il est, en effet, à la fois photographe, vidéaste, cinéaste expérimental et plasticien. Il a à son actif d’avoir toujours composé avec le vif des événements et avec les archives qui tissent la mémoire politique et sociale postcoloniale dans des installations et des vidéos délibérément sensorielles mais non moins poétiques. C’est le cas des vidéos Serment ou de Un aller simple, sorte de road movie dans l’histoire d’une Algérie, qui défile à la fois les traces de sa guerre encore récente et l’incertitude du quotidien de ses années de terreur.
Quelles soient photographiques, filmiques ou picturales les œuvres de Ammar Bouras sont presque toutes habitées du spectre de la guerre civile, de celui de la censure et de l’oppression de l’individu–citoyen.
Avec TAG OUT, toutes ces potentialités sont réunies pour revisiter les documents inédits et fortement porteurs de sens d’une histoire aussi proche que prémonitoire. C’est ainsi que Le caléidoscope d’images documentaires avoisine les photos retouchées picturalement aux couleurs de sang et retravaillées numériquement . Il s’agit pour l’artiste de traiter visuellement le mal par le mal en en taguant la trace pour mieux en exorciser l’inhumanité. Il a compris que le silence est aussi une trahison et que l’inimaginable et l’irreprésentable nécessitent justement qu’on rende visible et qu’on soutienne la moindre image documentaire qui peut encore aujourd’hui faire sens par sensation. Il fait revivre par l’image l’événement tel qu’il a été perçu et saisi en photo puis l’intensifie par les ressources de l’art .Les images ne sont jamais que des apparitions qui attendent d’être investies par le regard et par la mémoire qui les recrée ou les identifie. Leur force consiste est à opérer par affect un travail sur le corps regardant. Lorsqu’il s’agit de l’image-trace ou empreinte comme l’est l’image indicielle photographique ou filmique, elle incite plus immédiatement à l’adhésion. Mais lorsque celle-ci est mise en vision dans un dispositif qui met en relation sens et sensation, sa portée est amplifiée par la dimension polysémique qui libère et la mémoire et l’imagination. Traduire un vécu insoutenable sans trop le trahir n’est ce pas faire de son image un foyer dynamique de production de sens.
Rachida Triki
www.triki.org/rachida
Tag’Out (Galerie & Vidéo) • Nadira Laggoune Aklouche (Texte)