Accident de Béryl, dénonciation d’un drame
écologique et humain

L’exposition de l’artiste-photographe Ammar Bouras qu’abrite la galerie de  l’ESPACO (El-Achour), jusqu’au 24 avril, revisite une période funeste de notre  histoire collective : les essais nucléaires effectués par les français à In Ekker, défigurant ainsi faune, flore, et habitants

Ammar Bouras In Ekker Accident de béryl

Le plasticien, photographe et graphiste Ammar Bouras présente, depuis le 24 mars, à l’Espace D’art Contemporain (Espaco), à Alger, l’exposition «24°3’55 »N 5°3’23 »E»,  représentant les données de géolocalisation de l’accident nucléaire «Béryl», perpétré par l’armée coloniale le 1er mai 1962, au Centre d’expérimentations militaires des Oasis (Cemo), dans l’une des galeries creusées dans le massif granitique.
Tout a commencé lorsque le photographe s’est rendu en 2011 en France (Favril), pour une résidence d’artistes, au cœur d’un village d’agriculteurs. «Ce qui m’a frappé», nous a déclaré le plasticien, «c’est comment les villageois  séparaient leurs propriétés, avec des haies, ou des arbustes bien taillés. Cela a éveillé en moi une image de notre Sud ; en visitant In Ekker par le passé, j’y avais aperçu  une sorte de base de vie, des petits vendeurs, une pompe à essence, et un barrage militaire. Mais ce qui avait attiré mon regard, c’était cette montagne énorme, entourée de grillage, avec la mention ‘ Zone interdite’ sur tout son pourtour.». Et d’ajouter : «J’ai appris ce qui s’y était produit il y a une cinquantaine d’années, et les désastres que cela a pu causer sur l’environnement, notamment la montagne». Cette montagne, c’est Taourirt Tan Afella, un colosse de granite du Hoggar dont la roche fissurée et fragmentée dénote avec cette nature qui semble, au premier abord, n’avoir jamais connu tel drame.
Avec  dix huit photographies, neuf réalisations en verre et un court-métrage que le visiteur peut visionner dans une salle aménagée pour l’occasion, Bouras traite ainsi de certains aspects de la catastrophe nucléaire, avec un œil acéré et dénonciateur. Inspirant calme et sérénité, la salle de projection véhicule cependant un sentiment de malaise, à travers des images qui semblent  tout droit sorties d’un film d’horreur : une zone fantomatique interdite d’accès, des eaux noirâtres stagnantes dans une marrée enténébrée, de la ferraille déterrée polluant encore plus cet endroit à l’écosystème déjà fragilisé,  tranchent avec la verdure et  l’eau cristalline ruisselante et la pureté des images projetées juste à côté, mais prises cette fois-ci, en France.  Le mastodonte rocheux est au cœur de toutes les photographies, où l’artiste a tenu à le mettre en arrière plan, présentant ainsi au contemplateur, ses mutilations, sous un ciel souvent sombre, à l’image du tableau #5,  où des barils errant dans cet océan de lumière, rendent compte d’une nature défigurée, devenue effrayante avec le temps.  Ainsi, chaque photo met en exergue un élément rappelant le massacre écologique : de la ferraille, des câbles autrefois entrés dans le sable par l’armée française, des barils et même des clous, jonchent ce no man’s land, voguant  sur un flot de détritus radioactifs.
Pour transmettre ce sentiment de désolation, l’artiste a travaillé sur l’exposition et la saturation du tableau #21,  et a pu transformer, par là même, cette terre de lumière en porte de l’enfer, où une pluie de météorites s’abat sur la RN 1 et le géant granitique.  A ce à propos,  il nous dira : «Lors de l’activation de l’appareil, la photo n’a pas été prise instantanément, le diaphragme est resté ouvert pendant quinze minutes,  il a enregistré le changement de trajectoire des étoiles, et les lumières  des voitures  qui sont passées entre temps, et tout ça pendant que la terre tournait». Arborant toujours cet aspect de mutilation, le beauzariste a utilisé le verre à travers neuf sculptures ressemblant aux stalagmites des grottes souterraines,  et aux formes complexes et inégales, reflétant  finalement la destruction de cet univers qui fut autrefois, paisible et riche. Même si l’artiste  estime que son exposition n’est pas un acte de revendication, il en reste  pas moins qu’elle tente d’interpeller, d’éveiller des consciences, et de lever le voile sur un cauchemar vécu par une population souvent oubliée.
Yasmine Azzouz (Liberté)

24°3′55″N 5°3′23″E (Galerie) • Texte catalogue & L’Entretien (Nadira Laggoune-Aklouche) • Adlène Meddi • Jaoudet Gassouma • Hind Oufriha •  Sarah Haidar

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