Extrait du procès-verbal DZ22, relatif aux mains et à l’amour

Je n’ai plus de mains pour héler un taxi, me masturber ou traire le soleil le cul posé sur la baie. Je n’ai plus de mains pour t’aimer, accrocher des feuilles sur un arbre ou satisfaire un aveugle. Je n’ai plus de mains pour remonter la rue Tanger, éteindre les portables des flics et donner l’aumône. Je n’ai plus de mains pour essuyer mes yeux, rattraper un assassinat ou repeindre un sourire sur une fenêtre. Je n’ai plus de mains pour reconduire une balle perdue, mijoter une Casbah ou raviver les cendres couchées d’un orgasme. Je n’ai plus de mains pour effacer la brume matinale, raconter la taille d’un poisson pêché à la frontière du port ou crucifier les moustiques de la banlieue Est. Je n’ai plus de mains pour écrire, rire et mourir. Je n’ai plus de mains pour dire «mais», vivre à côté de toi prés ou annuler auprès des banques de sangs mes litres de prêts. Je n’ai plus de mains pour rebâtir la tribu, couper les ongles du marabout ou calmer le chien du berger assoupi. Je n’ai plus de mains pour porter des sacs de poussière, avaler un coup d’Etat ou chasser des pierres. Je n’ai plus de mains pour aller à la plage, nourrir ma mère ou catapulter certaines misères. Je n’ai plus de mains pour graver une âme, réclamer un crédit à un oranger ou te risquer une nuit mon amour. Je n’ai plus de mains pour me scinder en départements isolés, fumer une escapade ou répondre au téléphone. Je n’ai plus de mains pour partir, revenir ou étaler ma peau sur le bitume. Je n’ai plus de mains pour fermer ma braguette, stopper le sable ou bombarder une rivière. Je n’ai plus de mains pour nettoyer le marbre d’une tombe, acheter une fleur sur la lune ou forger un mot. Je n’ai plus de mains pour vendre des galettes, aller à Baghdad ou siroter ta bouche. Je n’ai plus de mains pour manger un sandwich solidaire, marcher entre deux bâtiments à Alger ou planter des bras d’honneur. Je n’ai plus de mains pour réchauffer le ciel, travailler le jour ou m’enfuir le soir. Je n’ai plus de mains pour taper des textes, gifler des joues imaginaires ou tenir la rampe de l’escalier vers l’Enfer. Je n’ai plus de mains pour dormir, interroger des suspects ou braver une vague de peur. Je n’ai plus de mains pour explorer les bidonvilles, caresser mes mains ou soumettre les bulldozers. Je n’ai plus de mains pour arrêter une bagarre au marché, inviter une comète à s’asseoir ou convaincre de folles abeilles. Je n’ai plus de mains pour porter un drapeau, forcer un barrage de mouches ou transformer mes pleurs en obus. Je n’ai plus de mains pour rédiger des tracts, laver mes vitres ou jouer aux dominos sous deux soleils. Je n’ai plus de mains pour avoir faim, m’arracher une dent de sagesse ou nettoyer le fusil de mon grand-père. Je n’ai plus de mains pour survivre aux autorités, déchirer trois nuages ou masser tes pieds au coin de l’Univers. Je n’ai plus de mains pour regretter une alliance, monter à cheval ou déplacer les meubles du cabanon oublié par le sable. Je n’ai plus de mains pour remplir des formulaires, construire des secondes ou toucher ton épaule. Je n’ai plus de mains pour mériter l’aurore, hisser le soleil à cinq heures du matin ou distribuer les étoiles en chiquenaudes. Je n’ai plus de mains écouter de loin, tenir ta main ou bercer nos enfants. Je n’ai plus de mains. Je n’ai plus de mains. Je n’ai plus de mains.
Adlène Meddi
Adlène Meddi
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